Changement climatique : les 5,5 impacts auxquels les compagnies d'assurance doivent se préparer

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    Dr. Irene Merk Emerging Risks Ambassador, SCOR

La vitesse, la taille et l’étendue des modifications apportées par l’homme à la nature, qui ont à leur tour un effet sur nous, sont sans précédent. Les activités humaines ont toujours eu un impact sur la santé, positif ou négatif, mais l'ampleur du changement climatique et de ses nombreuses conséquences irréversibles est totalement inédite. Plus important encore, ce changement se produit à un rythme trop rapide pour que l’écosystème puisse s’adapter, ce qui entraîne des dérèglements et une plus grande volatilité.

Cela signifie qu’il est plus en plus difficile de prédire la morbidité et mortalité futures, et que nous sommes plus susceptibles d’avoir besoin de protection et de résilience contre les évènements et tendances à risque. Il est donc impératif que les entreprises aux intérêts commerciaux à long terme, telles que les compagnies d'assurance, s’efforcent de mieux comprendre le changement climatique et ses impacts directs et indirects sur leur activité. Ceci peut comprendre de potentiels effets positifs, comme des opportunités de diversification ou de soutien des mesures d’atténuation.

Voici 5 impacts et demi du changement climatique devant être pris en compte par les compagnies d'assurance, notamment en ce qui concerne les principaux risques engendrés par le changement climatique et leurs liens avec ces dernières.

1. La chaleur extrême est la nouvelle norme

Si le changement climatique entraîne une hausse globale des températures moyennes à travers le monde, les températures n’augmentent pas uniformément. Ainsi, de nombreux aspects sont à prendre en compte.

Selon le GIEC, il y a au moins plus de 50 % de chance que le réchauffement climatique atteigne ou dépasse 1,5 °C d’augmentation à court‐terme (2021-2040). Ceci augmente à la fois la probabilité de chaleurs extrêmes et le nombre de jours battant des records de chaleur. Le point positif de ce scénario est que cela pourrait faire diminuer le nombre de cas de décès liés au froid. Cependant, si la variabilité de la température (deuxième courbe de la distribution des températures) augmente également, ce qui est très probable, cela signifie que les gains relatifs aux froids extrêmes seront plus faibles, mais que les records de chaleur seront de plus en plus intenses.

On estime que la chaleur extrême combinée à un fort taux d’humidité va rendre certaines parties du monde inhabitables pour l’homme, étant donné que nos organismes ne pourront plus réguler leur température par le biais de la transpiration. De même, les températures nocturnes ne baissent plus autant qu’auparavant, ce qui soumet les hommes et autres animaux à un stress supplémentaire. Enfin, les hivers doux perturbent les cycles de défense naturels, p. ex. contre certains insectes nuisibles.

Tout cela n'est pas sans conséquences sur la santé humaine. Si certaines sont directes comme les insolations, une température globale plus élevée aggrave également certaines maladies existantes et augmente les risques d’affections cardiovasculaires et pulmonaires pouvant entraîner la mort. Nous nous pencherons davantage dans les détails de ces mécanismes dans notre deuxième article.

Les facteurs d’atténuation tels que l’adaptation des normes de construction, la création d’espaces verts et frais, l’évolution des conditions de travail et les migrations influenceront la mesure dans laquelle le changement climatique aura un impact à l’échelle individuelle et locale.

2. Les phénomènes météorologiques extrêmes gagnent en fréquence et en intensité

On sait aujourd'hui que plusieurs catastrophes naturelles comme les tempêtes de vent, les inondations et les sécheresses sont accentuées par le changement climatique. Outre les dégâts matériels qu’ils engendrent, leur fréquence accrue et leur sévérité entraîneront directement des décès et auront un impact négatif à long terme sur le bien-être humain.

Selon la situation économique et politique locale, les sécheresses peuvent entraîner des famines et des troubles sociaux. Les inondations et tempêtes peuvent provoquer des déplacements de populations, ce qui accroît la pression sociale. Le développement économique peut être ralenti par ces phénomènes, ce qui risque de diminuer les ressources allouées à l’éducation, aux systèmes de santé et à la lutte contre le changement climatique.

Cependant, leur impact dépend également de certains facteurs liés aux activités et décisions humaines, comme la mise en place de normes de construction et d’aménagement urbain, la gestion de l’eau et la stabilité politique.

3. Pollution de l’air : une menace pour la santé de l’homme et de la planète

La hausse des températures devrait entraîner une augmentation du nombre de feux de forêt et de canicules, ce qui va polluer encore davantage l’air. De plus en plus de données scientifiques probantes démontrent qu’une exposition à un air pollué entraîne des troubles médicaux à des seuils de pollution bien plus bas que ce que l'on estimait auparavant. Les particules fines sont particulièrement préoccupantes car une fois inhalées, elles peuvent se déposer dans les poumons ou pénétrer dans la circulation sanguine et être transportées dans tout l’organisme.

En 2016, l’OMS a attribué 24 % des AVC, 25 % des maladies cardiaques ischémiques (MCI), 28 % des cancers du poumon et 43 % des pneumopathies obstructives chroniques à la pollution atmosphérique dans le monde. Le sujet a fait l’objet d’un rapport en 2019 qui décrit comment la pollution de l’air contribue à plus de 5 millions de décès par an en provoquant ou en aggravant des maladies non transmissibles.

La qualité de l’air est très hétérogène selon les régions et variable selon les saisons, et dépend en partie des activités économiques et politiques, entre autres facteurs. Cela rend ses effets difficiles à évaluer par rapport aux données biométriques des sous-populations, malgré les mécanismes physiologiques clairement identifiés concernant la manière dont la pollution de l’air nuit à l’homme, que nous aborderons dans notre prochain article.

4. Des maladies animales et humaines, dont des zoonoses, apparaissent dans de nouvelles régions

Le changement climatique et les modifications des conditions écologiques, telles que les changements de températures, des niveaux de précipitations et de fréquence d’évènements météorologiques extrêmes, peuvent favoriser la prolifération d'agents pathogènes, de parasites et de maladies. Cela comprend d’importantes maladies transmises par les moustiques telles que le paludisme, le virus Zika ou encore la dengue. La plupart d’entre elles se propagent mieux en cas de températures plus élevées et survivent grâce à des 'hivers plus doux.

De nombreuses théories existent sur le lien entre changement climatique et pandémies de maladies infectieuses sous leur forme la plus extrême. Elles aident généralement à comprendre le caractère interconnecté des différents facteurs, et la manière dont des effets indirects peuvent être fondamentaux pour expliquer certains évènements. L’explication de la manière dont le virus Nipah s’est propagé en 1998 en Malaisie, qui a touché 265 personnes et entraîné la mort de 105 malades, en est un parfait exemple.

“La transmission initiale du NiV des chauves-souris aux cochons est probablement causée […] par la contamination de nourriture pour cochons par des excrétions de chauves-souris. Celles-ci ont migré vers des vergers et des fermes porcines en raison de la non-production de fruits par les arbres forestiers pendant la sécheresse causée par El Niño et les incendies anthropiques en Indonésie." [1]

Looi LM, Chua KB LES LEÇONS TIRÉES DE L’ÉPIDÉMIE DE VIRUS NIPAH EN MALAISIE

La mesure dans laquelle le changement climatique influe sur les maladies vectorielles dépend du vecteur, de l’hôte et de la maladie. Cependant, la vitesse de propagation des maladies infectieuses dépend également d’autres facteurs : les influences sociodémographiques, la résistance aux médicaments et l'alimentation, ou encore les activités environnementales telles que la déforestation, l’expansion agricole, les projets relatifs à l’eau, l’urbanisation, le développement global et les modifications de l’utilisation des sols. Par exemple, la décimation des animaux de grande taille par l’homme libère des niches écologiques pour les plus petits animaux à la durée de vie plus courte, au métabolisme plus élevé et à la charge en agents pathogènes plus importante.

L’importance des maladies infectieuses pour les compagnies d'assurance dépend de la mesure dans laquelle les sociétés luttent contre les différents facteurs ou s’y adaptent. Les pays industrialisés peuvent fournir une infrastructure de santé publique et mettre en place des programmes médicaux visant à suivre, gérer et prévenir la propagation des différentes maladies. Les effets des maladies tributaires des conditions météorologiques sont beaucoup plus importants dans les pays pauvres disposant de moins de moyens de prévention et de traitement. Ces maladies peuvent donc ensuite se propager vers d’autres régions du monde.

5. Un accès équitable à l’eau, à l’assainissement et à la sécurité alimentaire compromis

La mauvaise qualité de l’eau est une cause majeure de mortalité et de morbidité dans le monde. Selon l’OMS, 1,8 milliard de personnes utilise des sources d’eaux potables contaminées par des excréments. Les inondations et pluies importantes (qui ne suivent plus le même calendrier en raison du changement climatique) provoquent parfois des débordements de stations d'épuration dont l’eau se déverse dans des sources d’eau douce ou dans des parcelles agricoles, ce qui peut contaminer l’eau potable ou les aliments. De plus, cela peut également augmenter le nombre de parasites dans l’eau potable et leur proportion. Bien que certaines régions devraient subir une augmentation des précipitations liée au changement climatique, ce dernier pourrait, en parallèle, entraîner des pénuries d'eau dans d’autres (principalement déjà arides ou semi-arides) en raison des sécheresses.

L’agriculture subit de plein fouet les évènements extrêmes et les conditions météorologiques imprévisibles. L’augmentation de la fréquence et de la sévérité des sécheresses, des inondations et des conditions météorologiques extrêmes va probablement faire baisser le niveau des récoltes. Les niveaux élevés de CO2 et la hausse des températures ont un impact sur le développement de certaines espèces de mauvaises herbes et d’insectes, dont certains nuisibles, ce qui pourrait faire diminuer le niveau moyen des récoltes. Les récoltes mondiales pourraient baisser de près de 30 % d’ici 2050, tandis que dans certaines régions, les températures plus élevées pourraient faire augmenter le niveau des récoltes. Il est également probable que le changement climatique entraîne un important déplacement géographique en termes de productivité agricole. Ainsi, les régions tropicales en cours de développement seront les plus touchées par le changement climatique, ce qui pourrait entraîner des migrations forcées de populations et des problèmes géopolitiques.

Le changement climatique aura probablement aussi un effet sur la sécurité alimentaire. L’augmentation des taux d’humidité et des températures favorise la contamination bactérienne et fongique des aliments, et notamment par les salmonelles ou les mycotoxines, produites par les moisissures. L’activité anthropique fait également peser des risques sur la sécurité alimentaire en raison de la contamination par les résidus de pesticide et d’autres polluants de la chaîne alimentaire. À titre d’exemple, la charge en méthylmercure toxique présente dans les poissons augmente de 3 à 5 % pour chaque degré supplémentaire de la température de l’eau.

L’eau et la sécurité alimentaire sont bien plus dépendantes des conditions politiques et économiques que tous les dangers liés au changement climatique dont nous avons parlé jusqu’à présent. Ces conditions englobent des facteurs autres que le changement climatique que nous pouvons atténuer, mais auxquels la complexité des acteurs et des domaines de responsabilité fait obstacle.

5½. Les conséquences indirectes : santé mentale et migrations

Outre les impacts évidents et directs du changement climatique que nous avons décrits ci-dessus, les impacts indirects potentiels ne doivent pas être oubliés.

Le principal exemple est la santé mentale, qui a été citée pour la première fois dans le rapport 2022 du GIEC. Ceci englobe plusieurs aspects, et notamment le stress engendré par l’exposition à des conditions météorologiques extrêmes, l’anxiété ressentie quant à l’avenir de la Terre, et le désespoir de voir la nature être détruite. Il existe également une corrélation entre la montée des températures et le nombre de suicides. Selon les études scientifiques, pour chaque personne touchée physiquement par une catastrophe, 40 sont touchées psychologiquement. [2]

Pour chaque personne touchée physiquement par une catastrophe, 40 sont touchées psychologiquement.

Dr Emma Lawrence

Le changement climatique entraînera également des déplacements et migrations de populations, en raison de conséquences telles que la pénurie d'eau, la désertification et les conflits géopolitiques pour l’utilisation des ressources. Parmi les nombreux problèmes que cela engendre, les déplacements de populations affaiblissent les prestations de soins médicaux et les programmes de vaccination, entravent la lutte contre de nombreuses maladies infectieuses et peuvent entraîner des troubles sociopolitiques. Certains analystes ont par exemple cité l'augmentation des prix des denrées alimentaires comme cause du « Printemps arabe ».

La population mondiale dans les régions côtières à basse altitude devrait fortement augmenter dans les prochaines décennies, et de nombreuses mégalopoles à travers le monde se trouvent dans ces régions. Il existe aujourd’hui plus de 150 villes comportant plus d’un million d’habitants dans les régions côtières, et l'élévation effective du niveau de la mer de 0,5 m, qui surviendra d’ici 2100, menace l’avenir de ces populations (et également de petits pays insulaires). Les mesures visant à lutter contre les inondations, et à reconstruire les habitations après ce type d'évènement ainsi que les glissements de terrain, accaparent des ressources qui pourraient être dédiées au développement économique d’autres régions, par exemple en matière d’éducation et de santé publique.

Il est très difficile de déterminer la mesure dans laquelle ces impacts indirects peuvent être attribués au changement climatique.

L’importance du changement climatique pour les compagnies d'assurance

Étant donné la multitude de risques directs et indirects du changement climatique, comment une compagnie d’assurance peut-elle déterminer ceux qui sont pertinents pour son activité ? Les observations suivantes peuvent être utiles.

  1. La pertinence d’un risque dépend du type de produit d’assurance. Ceci est particulièrement évident pour les maladies infectieuses vectorielles les plus fréquemment citées (comme le paludisme, le virus Zika, le chikungunya ou encore la dengue) qui devraient être plus fréquentes et toucher une plus grande région en raison du changement climatique. Ces maladies sont généralement non mortelles, ce qui signifie que même une très forte augmentation n’aura aucune incidence sur les couvertures liées au risque de mortalité. Ce danger est uniquement pertinent pour les couvertures d’invalidité ou médicales.
  1. La pertinence dépend de la région du monde. L’air est par exemple moins bon en Asie qu’en Europe. Les inondations extrêmes, les sécheresses et les ouragans, ainsi que les pénuries de nourriture et d'eau, sont inégalement répartis sur toute la planète. Cela signifie que la région dans laquelle intervient une compagnie d'assurance joue un rôle majeur. Cela explique également pourquoi il est important de toujours combiner dans les communications les dangers causés par le changement climatique avec une région ou un marché, en parlant par exemple de « pollution de l’air en Australie », de « vague de chaleur au Royaume-Uni » ou de « maladies vectorielles aux États-Unis ». Les compagnies d'assurance sont loin d’être uniformément réparties sur l’ensemble du globe et sont fortement concentrées dans les pays développés, qui sont moins exposés à la plupart des dangers que nous avons énoncés.
  1. La pertinence dépend de l’âge moyen des assurés. Selon les prédictions de l’OMS dans sa fiche d’informations sur le changement climatique et la santé de 2014, [3] : « Entre 2030 et 2050, le changement climatique devrait provoquer environ 250 000 décès supplémentaires par an, principalement dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée, et aux stress de chaleur » et précise qu’il y aura « 38 000 décès dus à une exposition à la chaleur chez les personnes âgées, 48 000 décès dus à la diarrhée, 60 000 décès dus au paludisme et 95 000 décès dus à la malnutrition infantile. » On observe également une prédominance des décès dus à la diarrhée et au paludisme chez les jeunes enfants, ce qui signifie que la majorité des victimes du changement climatique seront les plus jeunes et les plus âgés. De manière générale, ces groupes tendent à être moins assurés.
  1. La pertinence dépend de l’état de santé et du statut socioéconomique des assurés. Lorsque nous réfléchissons aux conséquences biométriques du changement climatique pour les compagnies d'assurance, il est important de comprendre que les attentes de la population générale ne sont pas représentatives de celles de la population assurée. Les personnes pouvant se permettre de souscrire une assurance-vie jouissent d’un meilleur statut socioéconomique et sont en meilleure santé que la moyenne (notamment en raison de la sélection médicale) et on y trouve une plus faible proportion de travailleurs manuels et en extérieur. Cela s'est traduit par une mortalité plus faible due à la COVID-19 chez la population assurée. Il existe cependant des exceptions. L'argent peut protéger contre la malnutrition, mais moins contre une mauvaise qualité de l’air.
  1. La pertinence des impacts indirects sera difficile à évaluer et à détecter au milieu de la volatilité des observations biométriques, et doit être suivie en surveillant les signes précoces. La santé mentale est par exemple une préoccupation très importante pour toutes les populations, car elle est liée au système immunitaire et également aux accidents et aux suicides.

En résumé, la pertinence des risques entraînés par le changement climatique pour les couvertures d’assurance dépendra du profil individuel des assurés et peut uniquement être évaluée au cas par cas. Il est possible d’utiliser des outils tels que des analyses de sensibilité et des scénarios adaptés à la durée et la nature du portefeuille.

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Sources

  1. Looi LM, Chua KB. Lessons from the Nipah virus outbreak in Malaysia. Malays J Pathol. 2007 Dec;29(2):63-7. PMID: 19108397.
  2. Lawrance, E. et al. (2021) “The impact of climate change on mental health and emotional wellbeing: current evidence and implications for policy and practice”, Grantham Institute
  3. WHO (2014) “Quantitative risk assessment of the effects of climate change on selected causes of death, 2030s and 2050s”
  4. IPCC, 2022: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.